Chers spectateurs d’aujourd’hui,
J’aimerais vous faire part de mon indignation quant au divertissement intitulé « La Chronique des Bridgerton. »
En effet, si les robes et les décors reprennent mon époque avec plus de lumière, comme le font d’ordinaire les amusements qui se réclament de mon siècle, je ne peux m’empêcher de ne voir dans Bridgerton qu’une pâle copie de mon œuvre.
Daphné, l’héroïne, comme ma chère Elizabeth, est entourée de sœurs non mariées dont la seule préoccupation concerne la réputation de la famille et les jeunes gens célibataires, de préférence fortunés. La métaphore du marché du mariage comme marché économique reste d’ailleurs la même, mais hélas sans mon arme favorite : l’ironie.
Comme les Bennet, les Bridgerton mettent l’héroïne dans l’embarras par leur grossièreté et leur manque de manières. Sa grâce et sa beauté ne suffisent pas à trouver aisément un beau parti.
Une autre preuve du pillage de mon travail reside dans la ressemblance troublante entre Daphné et l’actrice d’Orgueil et préjugés dans une version déjà creuse de 2005 : ce n’est point dû au hasard. On a le droit, bien entendu, d’admirer une œuvre et de lui rendre hommage. Mais la reprendre sans vergogne, sans une once de nouveauté, d’inventivité ni de panache, me plonge dans une colère glacée.
Les pestes – qui moquent le poids de l’une des jeunes filles et non plus son accoutrement – s’avèrent les tristes jumelles des pestes de mon livre.
La romance de Bridgerton semble se soucier davantage du physique avenant des personnages que de leur statut social, leur personnalité ou leurs contradictions, et si ces éléments sont évoqués, ils sont, une fois encore, repris de mon roman.
Oh, je sais bien que le spectacle demande aux acteurs la beauté, mais elle ne peut en rien tenir lieu de trame. S’il s’agit seulement de faire soupirer les jeunes filles, les groupes musicaux masculins qui font rimer « belle » et « rebelle » sont bien suffisants. Pourquoi, en effet, imposer huit heures d’une histoire bien connue quand la productrice pourrait, avec autant d’argent, raconter quelque chose de neuf qui réveille son temps ? Mais j’imagine que c’est moins aisé que de piller un succès jamais démenti.
Je m’adresse à vous, donc, spectateurs, lecteurs, auteurs peut-être. Je vous en prie, créez vos propres histoires, vos propres romances. Accordez moins d’importance aux jolies robes et davantage aux jolis personnages. Écrivez une romance qui se passe dans votre rue, chez votre voisin, moquez les paradoxes de votre propre époque, Dieu sait qu’ils sont nombreux. Prenez le temps de créer une histoire jamais lue ni vue auparavant, ou du moins de réinventer les archétypes et d’oser y ajouter les complexités de votre époque.
Je vous salue et vous souhaite d’être émus par d’autres que moi, qui auront le courage de dire quelque chose de leur temps, de leurs semblables et d’eux-mêmes.
Affectueusement,
Jane Austen
Originale la critique…que je partage !
Ça alors, c’est si gentil ! Merci ! Revenez nous voir !